Une interview avec M. Valentin Emeric, Formateur en psychogérontologie & Neuropsychologue, a été réalisée afin que nous puissions échanger sur la place qu’occupe la performance cognitive dans l’enseignement. Ce dernier nous livre une interview riche en idées qui va au cœur de la pédagogie que nous déployons au sein de MyConnecting. Nous vous invitons donc à lire cette interview pour en savoir un peu plus sur ce qu’est la performance cognitive, sur ce qui peut perturber nos fonctions cognitives, sur le déclin cognitif, et sur comment optimiser notre capacité à apprendre.
Qu’est-ce que la performance cognitive ?
Réponse de M. Valentin Emeric :
« La performance cognitive est la capacité à reconnaître les bonnes informations pour en faire une synthèse, en ressortir l’essence dans le but d’identifier les problèmes à résoudre prioritairement. Toutes ces capacités qui font la base de notre efficience, se réunissent pour réussir les apprentissages scolaires, professionnels ou personnels.
Cela fait écho à nos fonctions exécutives qui sont les processus les plus développés de nos fonctions cognitives et qui permettent d’avoir une réflexion stratégique. Lorsque nous sommes face à une situation problématique, c’est la performance cognitive qui met en jeu notre capacité à identifier l’approche la plus centrée sur la solution, l’approche la plus rapide et la plus adaptée. C’est notamment grâce à la performance cognitive que nous arrivons à découper un problème en plusieurs sous-parties, que nous arrivons à hiérarchiser les informations afin de résoudre le problème progressivement. »
Parlez-nous des fonctions cognitives.
« Les fonctions cognitives reflètent le fonctionnement notre cerveau. Celles-ci émergent des réseaux neuronaux, des circuits neuronaux qui sont dans le cerveau et dans le cervelet. Elles sont les supports de la pensée, de la communication, du langage.
En effet, ce sont nos fonctions cognitives qui nous permettent de communiquer, d’avoir des relations sociales, de percevoir notre environnement, d’avoir un souvenir, d’apprendre des informations et donc d’avoir des connaissances. Parmi les fonctions cognitives, nous retrouvons la mémoire qui constitue une des plus grandes fonctions du cerveau.
Les fonctions exécutives forgent, quant à elles, notre capacité à planifier l’information, à anticiper une tâche, à organiser des actions pour résoudre des problèmes. »
Qu’est-ce qui peut perturber nos fonctions cognitives ?
« Il existe plusieurs facteurs qui peuvent perturber nos fonctions cognitives :
- Lésions au cerveau
- Traumatisme crânien
- Accident vasculaire
- Cancer au cerveau
- Maladies neurodégénératives
- Stress
- Dépression
- Anxiété
- Fatigue
- Drogues et substances psychoactives : cannabis, cocaïne, alcool
- Médicaments (neuroleptiques ou médicaments qui perturbent les capacités d’attention et de réflexion…). »
Le déclin cognitif commence à partir de quel âge ?
« Pendant toute notre vie, nous dépendons de la plasticité cérébrale qui est notre capacité à créer de nouveaux neurones ou d’activer de nouveaux réseaux de neurones qui existent déjà grâce à l’apprentissage. Lorsque nous vieillissons, cette capacité à planifier des informations et à assimiler de nouvelles connaissances s’avère moins efficace. Au fil des années, il devient plus difficile de se concentrer sur deux choses à la fois, il est plus difficile à se mémoriser de certaines choses… Le déclin cognitif est donc une baisse de nos performances cognitives.
Il y a quelques années, nous pensions que le déclin cognitif était centré uniquement sur les gens plus vieux à partir de 80 ans étant donné que nous retrouvions chez eux des plaques amyloïdes que nous retrouvons dans les troubles neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. D’autre part, certaines études ont, elles, prouvé que nous pouvons atteindre un début de déclin cognitif à partir de 60 ans. Mais je suis récemment tombé sur une étude de l’Insee (institut de recherche français) faite sur 7000 personnes pendant dix ans, qui explique que nous pouvons subir un déclin cognitif à partir de 45 ans. Maintenant, ces résultats dépendent des facteurs qui ont été évalués.
Il est important de noter que la seule chose qui augmente en vieillissant c’est le vocabulaire étant donné que tout au long de notre vie, nous apprenons de nouveaux mots. »
Comment réussir à se concentrer, à faire de nouveaux apprentissages ou encore à résoudre des problèmes ?
« Nous sommes souvent distraits par les choses qui nous entourent et il est compliqué pour nous de rester attentifs et de mémoriser nos apprentissages. Afin de maximiser nos capacités à être attentifs, il est conseillé de pratiquer la méditation et la pleine conscience. Il faut aussi aménager l’environnement, ce qui signifie qu’il faut réduire le nombre de distraction. En outre, notre capacité à nous concentrer dépend sur notre motivation à résoudre un problème. »
Y a-t-il un moyen d’améliorer la performance cognitive au quotidien ?
« Il faut d’abord comprendre que le cerveau n’est pas un muscle, sinon il grossirait au fur et à mesure que nous apprenons. En revanche, celui-ci développe des neurones, il pèse de plus en plus lourd étant donné que le cerveau est plastique et adaptatif. Ainsi, le cerveau utilise tous les circuits de neurones dont nous avons besoin toute notre vie. C’est la raison pour laquelle lorsque nous vieillissons, il y a des choses dont nous ne nous rappelons plus.
Pour améliorer nos performances cognitives au quotidien, nous conseillons de stimuler le cerveau grâce aux échanges que nous avons avec des gens, dans notre vie sociale. Nous rencontrons des personnes au cinéma, dans des musées ou dans des parcs et nous pouvons apprendre d’eux. Il y a, d’ailleurs, plusieurs études qui prouvent que lorsque nous avons une vie active, nous développons une réserve cognitive qui est l’accumulation de tous nos apprentissages sociaux et culturels.
Il est aussi important de pratiquer une activité physique régulière pour stimuler notre cerveau. Nous pouvons pratiquer la marche ou la danse pour être ensuite plus performants puisque le cerveau est mieux oxygéné.
De plus, nous pouvons nous mettre à la lecture pour découvrir de nouveaux mots et de ce fait, améliorer nos performances cognitives au quotidien.
Afin d’améliorer nos performances cognitives, il faut également avoir une bonne hygiène de vie étant donné que tous les facteurs de risques cardiovasculaires qui sont tabac, alcool, mauvaise alimentation favorisent une mauvaise vascularisation de notre cerveau. »
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Quel est votre avis sur les outils numériques et leur lien avec notre performance cognitive ?
« L’influence des outils numériques sur notre performance cognitive peut être bonne si nous savons les utiliser à bon escient et mauvaise si nous n’en faisons pas bon usage ou si nous les utilisons en excès.
Nombreuses sont les personnes qui ont développé une dépendance sur les outils numériques ce qui peut provoquer un repli sur soi et ainsi un déclin cognitif. D’autres personnes, elles, se comparent aux autres sur les réseaux sociaux et cela peut provoquer une dévalorisation de soi-même.
Cette addiction favorise aussi la surcharge mentale lorsque nous recevons une tonne de notifications et que nous ne nous concentrons pas sur les gens qui nous entourent. Plusieurs études déconseillent d’ailleurs d’apporter leur téléphone ou ordinateur en vacances. Il faut se laisser un temps de repos.
Toutefois, grâce aux outils numériques, nous sommes mobiles. Cela signifie que nous pouvons apprendre n’importe quand et n’importe où grâce aux applications ou des tests en ligne. Nous pouvons aussi apprendre à nous relaxer grâce aux applications qui favorisent la méditation ou celles qui favorisent la cohérence cardiaque.
Nous pouvons découvrir à travers des moteurs de recherche à quoi ressemble le monde d’un point de vue culturel et social. Nous pouvons visiter des musées en 3D, lire des livres et apprendre ce que nous voulons apprendre.
Autre avantage des outils numériques c’est que grâce à eux, nous arrivons à hiérarchiser l’importance d’une information. Par exemple, auparavant, nous apprenions par cœur les numéros de téléphone. Aujourd’hui, nous n’avons qu’à les sauvegarder dans notre téléphone, ce qui nous permet de mémoriser d’autres choses plus importantes. »
Pouvez-vous nous définir maintenant ce qu’est la charge cognitive ?
« La charge cognitive est une notion associée à la mémoire de travail ; elle fait référence à la capacité limitée de ce système et à la façon dont l’exécution de différents types de tâches requiert un degré d’attention variable. Il s’agit d’une mémoire à court terme qui est limitée et qui nous permet de mémoriser de l’information pour réfléchir dessus pour ensuite la transmettre à la mémoire à long terme. C’est grâce à la mémoire de travail que nous arrivons à répéter les apprentissages pour les transformer en connaissances que nous aurons mémorisées dans la mémoire à long terme.
Sweller (1988), auteur de la théorie de la charge cognitive, a pour objectif de développer des activités pour des apprenants afin d’optimiser le rendement intellectuel. Il vise à optimiser les capacités d’apprentissage des apprenants afin qu’ils apprennent de la manière la plus efficace possible. Sweller distingue trois types de charge – intrinsèque, extrinsèque et essentielle.
La charge intrinsèque
La charge intrinsèque renvoie à la complexité inhérente d’une tâche.
La charge extrinsèque
La charge extrinsèque est définie par les caractéristiques de l’environnement d’apprentissage de la nouvelle matière : niveau de bruit, autres activités en cours dans la classe, etc. Idéalement, le professionnel de l’enseignement réduit la charge extrinsèque autant que possible de façon à ramener la charge cognitive à l’essentiel – autrement dit, la majeure partie de l’énergie et de l’attention de l’apprenant doit être consacrée au traitement de la nouvelle information.
La charge essentielle
La charge essentielle correspond à l’effort consacré au traitement ou à la compréhension d’une tâche. Cela dépend principalement sur la motivation de l’apprenant. Plus un apprenant est motivé, plus il va faire d’efforts et mieux il va réussir son apprentissage. »
La théorie de la charge cognitive est-elle fondée sur des connaissances scientifiques solides ?
« Oui. Il y a beaucoup d’articles, universitaires, notamment, qui traitent de la théorie de Sweller. Ce dernier a mené des collaborations avec d’autres chercheurs sur des situations d’apprentissage pour la résolution de problèmes. Son but est de cibler les conditions les plus favorables à l’apprentissage. Donc, cette théorie de la charge cognitive, développée dans les années 90 a été reprise par de nombreux auteurs notamment Baddeley & Hitch (2000) et par d’autres auteurs américains qui font des recherches. Celles-ci s’appuient sur toutes les théories d’utilisation des ressources cognitives et sur les théories des apprentissages. »
Tous les apprentissages impliquent-ils la théorie de la charge cognitive ?
« C’est le départ des apprentissages qui implique la théorie la charge cognitive. Par exemple, au départ, quand un enfant apprend à lire, il y a une charge cognitive. Pour l’enfant, c’est une toute nouvelle tâche. Tous les apprentissages sont des capacités qui sont acquises.
D’un autre côté, nous avons, en tant qu’êtres humains, des capacités qui sont innées. Dans ce cas, nous n’avons pas besoin de les apprendre mais nous devons les développer et les renforcer. Les capacités acquises passent toutes par le processus de la mémoire de travail, par la répétition d’informations, par la répétition des tâches et cela dans les meilleures conditions possibles pour les apprendre de la manière la plus rapide, efficace et performante.
Maintenant, il faut comprendre qu’il y a une distinction à faire entre un expert et un novice. Il est plus difficile pour un novice d’apprendre une tâche. Il va devoir la répéter dans sa mémoire de travail. En revanche, l’expert détient un processus automatique.
Lorsque nous faisons une IRM sur des musiciens, par exemple, nous voyons que la musique se trouve dans l’hémisphère gauche car elle est devenue un langage. Pour un novice, la musique est dans l’hémisphère droit parce que ce n’est pas du langage. Cela signifie qu’il est passé d’un stade d’apprentissage par la mémoire de travail et donc de la charge cognitive à un stade en mémoire à long terme voire en mémoire procédurale. C’est devenu automatique pour l’expert de réaliser une tâche. C’est devenu tellement automatique que cela ne lui coûte presque rien en charge cognitive. Il peut donc développer des morceaux plus complexes. »
La théorie de la charge cognitive conduit-elle à une méthode d’enseignement particulière ?
« La théorie de la charge cognitive permet d’autres méthodes d’enseignement particulières étant donné que les modèles d’enseignement reposent sur celle-ci. De plus, neuropsychologues et neurologues en France tiennent compte des neurosciences et donc des capacités neurologiques d’apprentissage des apprenants. Aujourd’hui, les établissements d’apprentissage utilisent toutes les études et recherches menées sur les capacités d’apprentissage neurologiques innées. Nous allons apprendre aux apprenants la façon la plus efficace et performante à acquérir de nouvelles choses.
Il y a des différences sur les capacités d’apprendre de l’enfant, c’est la raison pour laquelle il y a trois types de charge. Ainsi, l’enseignant peut agir sur la motivation de l’apprenant en adoptant la méthode Montessori qui permet à l’apprenant de se voir agir et de se voir évoluer dans les meilleures conditions qui soient. Pour cela, formateurs et enseignants doivent s’intéresser à la psychologie de la motivation qui vise à déceler si l’apprenant est motivé à apprendre, par quoi il l’est et lui expliquer pourquoi il est important d’apprendre.
Il faut aussi veiller à ce que l’environnement soit propice à l’apprentissage (charge extrinsèque). S’il y a trop de bruit, il sera difficile pour l’apprenant d’assimiler des informations. Il faut également s’adapter aux nouvelles méthodes d’apprentissage notamment avec l’utilisation des outils numériques, tout en instaurant une pédagogie positive envers les enfants.
En somme, la méthode d’enseignement doit développer l’esprit critique des apprenants pour leur apprendre à réfléchir sur ce qu’ils sont en train d’apprendre. Il faut pour cela prendre en compte tous les facteurs qui sont liés à l’apprentissage : stabilité financière, atmosphère à la maison, milieu scolaire, etc. »
Comment voyez-vous l’entraînement cérébral dans 10 ans ?
« L’entraînement cérébral dans 10 ans va indéniablement tenir compte du numérique. Il y aura encore d’autres innovations technologiques et numériques qui auront pour but de faciliter l’apprentissage. L’entraînement cérébral va également tenir compte de notre hygiène de vie et des facteurs qui y sont liés : alimentation, santé physique, stress…
Dans 10 ans, grâce aux outils numériques, nous pourrons nous former n’importe où et n’importe quand. Il y aura encore plus d’applications qui vont nous permettre de développer notre performance cognitive. Mais il faut bien comprendre qu’il faut aussi savoir couper son portable si nous sommes en surcharge.
Puis, dans quelques années, la réalité augmentée et la réalité virtuelle grâce à l’intelligence artificielle, seront encore plus innovantes et efficaces. Peut-être que nous aurons droit à un coach virtuel ou un hologramme qui va nous aider à apprendre au quotidien, parce que certes, nous avons accès à toutes les informations sur Internet mais nous ne comprenons pas toujours tout ce que nous lisons. Alors, dans les prochaines années, il y aura des changements quant aux modèles d’apprentissage.
Toutefois, il faut bien noter que l’outil numérique ne pourra jamais remplacer un enseignant, un professeur ou un formateur car seuls eux peuvent tenir compte de la motivation des apprenants. »
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